Par Félix Briaud, Urbanomy
14/06/2023

Les institutions européennes s'attaquent (enfin !) au greenwashing.

Ces derniers mois, la Commission puis le Parlement ont pris position contre cette pratique et ces entreprises qui ralentissent, voire empêchent, la lutte contre le changement climatique. Les consommateurs sont trop souvent perturbés par des messages au mieux imprécis, au pire complètement faux. Quant aux labels, ils ne s’en sortent pas bien mieux.

Deuxième volet d'une série d'articles d'Urbanomy sur les évolutions réglementaires européennes à venir.

Allez-y. Sentez-vous à l’aise. Vous pouvez TOUT nous dire.

Oui, vous aussi, vous l’admettez, vous vous êtes déjà fait avoir par un produit estampillé « écologique ». « Vert ». « Bon pour la planète ». Ou, variation subtile et un peu plus rare, « neutre en carbone ».
 
Rassurez-vous, nous sommes nombreux à être tombés dans le panneau du greenwashing, c’est-à-dire à s’être fait avoir par ces formulations peu scrupuleuses. Et c’est pourquoi les institutions européennes se sont emparées de la question. Le 11 mai dernier, le Parlement européen a voté en séance plénière la « proposition de directive pour donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition écologique ».
 
Pour faire plus court, vous pouvez l’appeler « directive sur les allégations vertes » - ou directive “Green Claims” mais soyez prévenus, votre interlocuteur risque de vous répondre : “Green quoi ?”. Dans le langage courant, il est en fait fort probable que l’on retienne « directive contre le greenwashing » ; mais si vous défendez ardemment la langue française (ou que vous êtes québecois), vous préférerez sans doute « directive contre l’écoblanchiment ».
 
Ce choix terminologique effectué, retenons tout de même le large consensus qui s’est dégagé au Parlement européen : 544 députés eux ont voté en faveur de la proposition, 18 ont voté contre, 17 se sont abstenus. Soit 97% des suffrages exprimés favorables au texte, preuve que le constat au sujet de ces « green claims » ou « allégations vertes » est quasiment unanime.
 
Après le vote sur la CSRD, la Directive sur les Rapports de Développement Durable des Entreprises, c’est la deuxième fois en six mois que le Parlement européen légifère sur la question du climat.
 
Trois des quatre principaux aspects listés ci-dessous s’attaquent à la question du greenwashing tandis que le dernier aspect porte sur la question de l’obsolescence prématurée (aussi appelée, maladroitement comme nous le verrons plus bas, “obsolescence programmée”) :
  • les qualificatifs environnementaux génériques, comme “écologique”, “naturel”, “biodégradable” ou encore “respectueux de l’environnement” ne pourront plus être utilisés si l’entreprise ne fait pas la démonstration étayée qu’elle est légitime à les utiliser
     
  • ces qualificatifs ne pourront pas non plus être appliqués à l’ensemble du produit s’ils ne concernent qu’une des caractéristiques de ce produit
     
  • les “allégations vertes” issues d’un système de compensation des émissions de carbone, telles que “neutre en carbone” ou “neutre en CO2”, considérées comme trompant le consommateur, ne pourront plus être utilisées
     
  • les fabricants auront interdiction de concevoir des produits dont des fonctions intégrées limiteraient leur durée de vie. Il sera par exemple interdit de commercialiser un téléphone pour lequel l’achat d’un chargeur non-officiel ne permettrait pas de recharger la batterie aussi bien qu’un chargeur officiel ou userait plus rapidement sa batterie
Avant d’aller plus loin et si vous vous interrogez sur la manière de modifier vos allégations produits ou services - afin de tenir compte non seulement des attentes consommateurs mais aussi du cadre réglementaire - Urbanomy est en mesure de vous accompagner dans la définition ou la redéfinition de votre “Stratégie Climat”.

Siffler la fin de la récréation

Halte au greenwashing ! L’U.E. veut donc aider les consommateurs à faire des choix éclairés lors de leurs actes d’achat, d’une part, mais également renforcer la crédibilité des méthodologies scientifiques robustes.
 
Une marque ou une entreprise affirme que l’article ou le service qu’elle commercialise est respectueux de l’environnement ? Qu’elle le prouve ! Si elle ne le peut pas, elle serait ainsi prise en flagrant délit de greenwashing et devra donc retirer toute allusion à un bénéfice environnemental.
 
La question de la preuve est donc primordiale dans ce texte. Les affirmations pseudo-écologiques ne doivent plus pouvoir fleurir sur vos emballages, dans les publicités ou dans tout type de communication des entreprises qui les commercialisent.
 
Ce faisant, l’objectif poursuivi est clair : inciter les acteurs économiques à revoir leur copie afin de proposer aux consommateurs des biens ou services réellement bons pour la planète, le climat ou la biodiversité.
Antonio Jose Cespedes (ajcespedes) / Pixabay

Parce qu'on vient de loin

Il aura fallu plus de trois ans pour que se concrétise ce projet européen qui ambitionne ni plus ni moins de mettre fin au greenwashing.
 
David Cormand, député européen du groupe des Verts / ALE, expliquait à la fin de l’année 2020, en remettant son rapport « pour un marché unique plus durable » :
« notre société de consommation est devenue une société de consumation, où on gaspille et on détruit les ressources »
Comprenez : les comportements de consommation des humains ont pour conséquence que la planète se consume.
 
Pourtant, rappelait le député, avec sa contribution au PIB mondial de l’ordre de 18%, l’Union Européenne à 27 dispose du « pouvoir et [de] la capacité de prescrire un certain nombre de règles (…) qui protègent les consommatrices et les consommateurs ».
 
Au-delà du greenwashing, la question abordée ici par le rapport de ce député européen est celle de “l’obsolescence prématurée”, terme certainement plus pertinent que celui, très répandu, d’ “obsolescence programmée”. Ce dernier met en effet l’entière responsabilité sur les fabricants alors que manquent souvent les preuves irréfutables de telles pratiques. Il oublie par ailleurs de prendre en compte les comportements des consommateurs - férus de renouveler leurs équipements par effet de mode, par exemple - dans ce phénomène.
 
Mais revenons aux “allégations vertes” ou “green claims”. Dans son étude sur le rôle potentiel des consommateurs dans la transition écologique, rédigée en octobre 2021, la Direction Générale de la Justice et des Consommateurs (« DG JUST ») de la Commission Européenne identifiait, elle, deux problèmes qu’elle qualifiait de “principaux” et “empêchant les consommateurs d’adopter des comportements de consommation plus durables”.
 
Le premier est que les consommateurs, lorsqu’ils prennent une décision d’achat, manquent d’informations fiables sur les caractéristiques de durabilité des biens manufacturés ou services concernés ; le deuxième est qu’ils font face à des entreprises parfois peu scrupuleuses qui, dans leur communication, cherchent à perturber, voire à tromper les consommateurs sur le caractère responsable des produits qu’ils mettent sur le marché - en particulier sur leur responsabilité environnementale et c’est là ce qu’on appelle le greenwashing.
 
En somme, les consommateurs n’ont soit pas assez d’informations ; et lorsqu’ils en ont ce sont souvent des informations imprécises, infondées, voire malhonnêtes.

Très bien, tout ça. Mais c'est seulement maintenant qu'ils agissent ?!

L’histoire de cette directive contre le greenwashing est en fait intimement liée à celle d’un virus qui a fait parler de lui ces dernières années.
 
L’examen du sujet a en effet subi plusieurs reports. En mars 2020, la Commission européenne dévoile son plan d’action sur l’économie circulaire, quelques mois après le lancement, en décembre 2019, du Pacte vert pour l’Europe (aussi appelé « Green Deal »).
 
Manque de chance : ledit plan d’action est divulgué très exactement le 11 mars 2020, c’est-à-dire au même moment où les pays européens - Italie en tête - prennent, les uns après les autres, des mesures de confinement strict de leurs populations. D’une ampleur inédite depuis un siècle, la pandémie de Covid-19 balaie tout sur son passage et le projet de directive contre le greenwashing ne fait pas exception à la règle. Tout ce qui ne concerne pas la crise sanitaire est, comme vous vous en souvenez certainement, relégué au second plan.

"Agissez pour la planète : achetez ce t-shirt !"

C’est également en 2020 que la Commission Européenne avait mené une analyse de 150 allégations vertes : « empreinte climatique réduite », « zéro carbone » ou encore « emballage à base de matériaux recyclés ». Plus de la moitié de ces “green claims” contenait « des informations vagues, trompeuses ou non étayées ». Alimentation, textile, électroménager… tous les secteurs étaient concernés par ce greenwashing de masse.
 
Des allégations mais pas seulement. S’agissant des labels écologiques ou présentés comme tels, l’organe exécutif de l’Union en avait cette fois disséqué 232. Dans la moitié des cas, là encore, la Commission concluait qu’ils étaient décernés après des vérifications « faibles ou inexistantes » ; un sujet sur lequel s’était d’ailleurs penchée la journaliste Sandrine Rigaud il y a six ans, dans une enquête consacrée au marché du coton et à l’utilisation de cette matière dans l’industrie du prêt-à-porter.
 
Avec cette directive contre le greenwashing et les allégations vertes, les conditions de création de labels vont d’ailleurs se durcir. D’abord, de nouvelles initiatives de certification ne pourront plus émaner d’entreprises ou d’associations professionnelles de droit privé, sauf à ce que les labels envisagés soient plus exigeants que ceux qui existent déjà. Les bénéfices environnementaux devront être assis sur une analyse en profondeur, certifiée par des tiers indépendants.
 
Quant aux nouvelles certifications publiques, elles devront être établies au niveau européen afin de garantir une cohérence entre États membres.
 
Comme l’illustrait le Commissaire européen à l’Environnement Virginijus Sinkevičius, désormais si un t-shirt est mis en avant comme étant fait à partir de bouteilles en plastique recyclées, il faudra par exemple préciser que ces fameuses bouteilles « n’ont permis de produire que 1% du t-shirt ».
 
Si ce n’est pas le cas, cela fera l’objet de sanctions et d’indemnisations versées aux consommateurs qui pourraient alors poursuivre les entreprises coupables de greenwashing. Mais la directive a encore du chemin à parcourir et pas des plus aisés : celui de la négociation en « trilogue » entre le Parlement, le Conseil de l’U.E et la Commission européenne, d’une part ; et sa transposition dans les législations nationales, d’autre part.
 
 
Sources (sélection non exhaustive) :
Photo Félix Briaud
L'auteur

Félix Briaud

Félix est le responsable communication, marketing & RSE d’Urbanomy.
Journaliste durant dix ans, il a ensuite bifurqué vers la data appliquée à la publicité digitale. Ce n’est que récemment qu’il s’est convaincu, en rejoignant le cabinet, de mettre en adéquation sa vie professionnelle avec ses convictions personnelles au sujet de l'environnement.
En dehors de cela, Félix est fou de musique - particulièrement de la période allant des années 1950 aux années 1970. Dans ce domaine comme dans d’autres, il regorge d'anecdotes et sera sans aucun doute ravi de vous en raconter une ou deux.

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