Par François Rehulka
09/05/2025
09/05/2025
Le dernier rapport de Copernicus1 sur l’état du climat en Europe en 2024 confirme une réalité désormais tangible : l’année écoulée a été la plus chaude jamais enregistrée à l’échelle mondiale, avec une température moyenne dépassant pour la première fois le seuil symbolique de +1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle.
En Europe, continent qui se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale, 2024 a été marquée par des événements extrêmes : inondations affectant plus de 400 000 personnes, pertes économiques estimées à plus de 18 milliards d’euros, et des vagues de chaleur prolongées dans le sud-est du continent.
Dans ce contexte, les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre doivent s’intensifier et l’adaptation au changement climatique n’est plus une option, mais une nécessité stratégique pour les entreprises.
Une pression réglementaire et économique croissante : pourquoi les entreprises doivent agir
Les exigences en matière d’adaptation s’intensifient à tous les niveaux. La taxonomie verte européenne classe l’adaptation climatique parmi les six objectifs environnementaux prioritaires. En pratique, pour être qualifiée de “durable”, une activité économique doit démontrer qu’elle met en œuvre des solutions d’adaptation réduisant significativement sa vulnérabilité aux aléas climatiques.
Par ailleurs, la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose aux grandes et moyennes entreprises de rendre compte de manière transparente de leurs risques climatiques physiques et des mesures d’adaptation associées. En effet, la norme européenne ESRS E1 de la CSRD, dédiée au climat, couvre l’adaptation et fixe des obligations de publication sur ce sujet. Autrement dit, depuis 2024, toute entreprise concernée par la CSRD doit décrire non seulement sa trajectoire de réduction d’émissions, mais aussi la façon dont elle anticipe et gère les impacts du changement climatique sur ses activités.
En France, le gouvernement a publié en mars 2025 le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3), fondé sur une trajectoire de réchauffement de référence (TRACC) à +4°C d’ici 2100 pour la France. Ce plan marque un changement d’échelle : il rend l’adaptation incontournable dans toutes les politiques publiques et impose une mobilisation accrue des acteurs économiques. Les entreprises sont explicitement appelées à élaborer des stratégies sectorielles d’adaptation (mesure n°33) et à évaluer leurs actions (mesure n°40). Il confirme ainsi que l’adaptation est un impératif stratégique, économique et opérationnel pour les entreprises.
En parallèle, les acteurs financiers et assureurs revoient leurs critères. Sans stratégie d’adaptation, une entreprise peut voir son accès au financement ou à l’assurance restreint.
Selon une étude conjointe du Boston Consulting Group et du Forum économique mondial2, ne pas investir dans la transition climatique pourrait entraîner des pertes économiques allant de 10 à 15% du PIB mondial d’ici la fin du siècle, alors que des investissements équivalents à environ 3% du PIB mondial (2% pour l’atténuation, 1% pour l’adaptation) permettraient de limiter ces dommages. À l’échelle des entreprises, le constat est tout aussi préoccupant : en l’absence de stratégie d’adaptation, les pertes pourraient atteindre 5 à 25% de l’EBITDA d’ici 2050, selon les secteurs et les zones géographiques.
Ces impacts ne se limiteraient pas aux performances financières : ils toucheraient également l’emploi, les chaînes d’approvisionnement et les communautés locales. Enfin, l’étude mentionne que l’investissement dans des stratégies d’atténuation et d’adaptation pourrait déjà rapporter entre 2 et 19 dollars pour chaque dollar investi. Adapter son modèle, c’est préserver la rentabilité à long terme de son activité, éviter des pertes majeures… et rester assurable.

Transcription
Site EDF de La Grande Halle de Gerland, Lyon. Crédit photo : Denis Allard / Agence REA.
Site EDF de La Grande Halle de Gerland, Lyon. Crédit photo : Denis Allard / Agence REA.
Adaptabilité, adaptation : quelle différence ?
D’aucuns préfèrent parler d’ "adaptabilité"3, considérant que ce terme désigne une qualité intrinsèque d’un système : sa capacité à absorber les chocs, à se transformer et à apprendre face à des perturbations majeures comme le changement climatique. Cette approche insiste sur la souplesse organisationnelle, la culture de l’anticipation et l’aptitude à évoluer dans un contexte incertain.
D’autres lui préfèrent le terme d’ "adaptation", davantage employé aujourd’hui dans les politiques publiques et les normes européennes, qui désigne un ensemble d’actions concrètes visant à réduire la vulnérabilité d’un système aux impacts climatiques.
Pour nous, ces deux notions sont complémentaires : les mesures d’adaptation permettent de répondre aux risques identifiés, tandis que l’adaptabilité est un levier stratégique pour inscrire la résilience au cœur des décisions et faire de l’adaptation un processus continu et intégré.
L'adaptation, un levier stratégique de résilience et de performance
Au-delà des contraintes réglementaires, intégrer l’adaptation dans sa stratégie représente une opportunité majeure pour les entreprises. Il ne s’agit pas simplement de prévenir des risques climatiques à venir, mais bien de renforcer la performance globale de l’organisation dans un monde plus incertain.
- Assurer la continuité d’activité face aux aléas climatiques
Tempêtes, vagues de chaleur, inondations… les événements extrêmes perturbent de plus en plus fréquemment les opérations. Un plan d’adaptation efficace permet de réduire les interruptions de production, de limiter les dégradations de sites et d’anticiper les nouvelles contraintes logistiques. En minimisant les arrêts non planifiés et les coûts associés (réparations, perte d’exploitation, délais non tenus), l’entreprise sécurise sa chaîne de valeur et rassure ses parties prenantes.
- Gagner un avantage concurrentiel durable
Les entreprises les plus avancées sur les mesures d’adaptation bénéficient d’un avantage compétitif sur plusieurs fronts : attractivité auprès des clients et investisseurs, anticipation des exigences réglementaires, meilleure préparation aux appels d’offres intégrant des critères climat. Elles démontrent aussi leur capacité à maîtriser leurs risques stratégiques dans un environnement de plus en plus volatil, ce qui rassure partenaires, assureurs et donneurs d’ordre.
- Renforcer la robustesse de la chaîne de valeur
L’adaptabilité n’est pas seulement un enjeu interne : elle concerne l’ensemble de l’écosystème de l’entreprise. En sécurisant ses intrants critiques, ses infrastructures logistiques et ses relations fournisseurs, une entreprise protège indirectement ses clients et ses partenaires, particulièrement dans une période de turbulences économiques comme nous les connaissons régulièrement. Une chaîne de valeur résiliente, capable d’absorber des chocs sans rupture, constitue un gage de fiabilité commerciale.
- Réduire les coûts assurantiels et prévenir les pertes
Le coût de l’inaction climatique devient un facteur structurant. D’après France Stratégie, les sinistres liés au dérèglement du climat pourraient représenter 143 milliards d’euros cumulés d’ici 2050 si rien n’est fait. Pour les entreprises, cela peut se traduire par des hausses de primes d’assurance, des franchises plus élevées, voire des couvertures refusées. A contrario, celles qui disposent d’un plan d’adaptation crédible peuvent négocier de meilleures conditions et réduire leur exposition financière aux catastrophes naturelles.
- Protéger la santé et la productivité des collaborateurs
Les vagues de chaleur prolongées affectent directement la santé des salariés, en particulier sur les postes exposés. Cela peut entraîner des baisses de productivité, des arrêts de travail ou des difficultés de recrutement. Investir dans des mesures de confort thermique, des horaires adaptés ou des équipements de protection permet de répondre aux obligations légales tout en maintenant la motivation et la performance des équipes. L’adaptation devient alors un levier de valorisation du capital humain.
- Piloter la stratégie de long terme
Intégrer l’adaptabilité dans les processus de gouvernance (revue stratégique, gestion des risques, investissement, innovation) permet à l’entreprise de se projeter dans un avenir à +2°C ou +4°C, en prenant des décisions alignées avec ses enjeux climatiques. Cela renforce la cohérence globale de la stratégie climat, en complément des efforts de décarbonation.
L’adaptation est donc à la fois un outil de résilience opérationnelle et un vecteur d’opportunité stratégique. Elle permet aux entreprises non seulement de résister aux chocs, mais aussi de se différencier de façon positive sur leur marché.

Transcription
Lâcher d'eau à Serre-Ponçon. Crédit photo : Jean-Lionel Dias / PWP.
Lâcher d'eau à Serre-Ponçon. Crédit photo : Jean-Lionel Dias / PWP.
Où agir en priorité ? Identifier les enjeux critiques d'adaptation
Pour construire une stratégie d’adaptation robuste, l’entreprise doit identifier les domaines où un aléa climatique pourrait compromettre sa performance, sa sécurité ou sa pérennité. Ces enjeux couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur.
- Ressources humaines : préserver la santé et la sécurité
Les collaborateurs sont en première ligne face aux dérèglements climatiques. Canicules, vagues de froid, pollution ou stress hydrique peuvent impacter leur bien-être, leur productivité et leur sécurité. Cela est particulièrement vrai pour les postes extérieurs ou en environnement non climatisé. Il devient donc crucial d’adapter :
• Les conditions de travail (horaires, rythmes, pauses…),
• Les équipements (tenues techniques, postes rafraîchis),
• Les espaces (ombrage, ventilation, climatisation passive),
• Et les procédures en cas d’alerte climatique. Une attention particulière doit être portée aux populations les plus exposées (opérateurs, livreurs, chauffeurs, etc.).
• Les équipements (tenues techniques, postes rafraîchis),
• Les espaces (ombrage, ventilation, climatisation passive),
• Et les procédures en cas d’alerte climatique. Une attention particulière doit être portée aux populations les plus exposées (opérateurs, livreurs, chauffeurs, etc.).
- Bâtiments et sites industriels : sécuriser les infrastructures
Les sites de production, entrepôts et bureaux peuvent subir des dommages liés aux inondations, à la chaleur ou aux vents violents. Le retrait-gonflement des argiles (RGA), très courant dans plusieurs régions françaises, constitue un risque majeur pour les fondations. Adapter les bâtiments, c’est :
• Renforcer l’enveloppe du bâti (étanchéité, isolation, résistance),
• Sécuriser les équipements sensibles (électricité, informatique, automatisation),
• Et repenser les implantations futures en tenant compte des zones à risque.
• Renforcer l’enveloppe du bâti (étanchéité, isolation, résistance),
• Sécuriser les équipements sensibles (électricité, informatique, automatisation),
• Et repenser les implantations futures en tenant compte des zones à risque.
- Intrants et procédés : garantir la continuité de production
L’adaptation vise aussi la robustesse des procédés industriels, souvent sensibles à la qualité des intrants (eau, matières premières…) ou aux conditions climatiques. Une sécheresse peut entraîner des restrictions d’eau, une chaleur extrême altérer la performance des machines, un gel tardif perturber les cultures en amont. Pour limiter l’exposition :
• Identifier les ressources critiques,
• Évaluer leur vulnérabilité climatique,
• Et mettre en place des mesures comme la diversification des sources ou la flexibilité des lignes de production.
• Évaluer leur vulnérabilité climatique,
• Et mettre en place des mesures comme la diversification des sources ou la flexibilité des lignes de production.
- Logistique et mobilité : fiabiliser les flux
L’acheminement des marchandises, des équipements et des personnes dépend d’infrastructures parfois vulnérables : routes ou ponts coupés, voies ferrées déformées, ports inaccessibles, etc. La logistique doit être repensée pour intégrer des plans de continuité, avec :
• Des routes alternatives,
• Des stocks décentralisés,
• Des scénarios de repli en cas d’événement climatique extrême.
• Des stocks décentralisés,
• Des scénarios de repli en cas d’événement climatique extrême.
- Écosystèmes partenaires : impliquer fournisseurs et clients
Les perturbations climatiques chez un fournisseur ou un client peuvent entraîner des conséquences en chaîne. Une entreprise agroalimentaire dépendante d’un seul fournisseur agricole sera directement touchée par une sécheresse ou une inondation. Il est donc primordial de :
• Cartographier les vulnérabilités amont et aval,
• Impliquer ses partenaires dans une démarche de résilience,
• Et, le cas échéant, adapter son portefeuille de produits pour répondre aux nouvelles réalités du marché.
• Impliquer ses partenaires dans une démarche de résilience,
• Et, le cas échéant, adapter son portefeuille de produits pour répondre aux nouvelles réalités du marché.
- Aléas majeurs : cibler les priorités en fonction des territoires
En France métropolitaine, les principaux aléas à considérer sont :
• Les canicules prolongées : risque de surchauffe, santé, productivité,
• Les sécheresses : stress hydrique, retrait-gonflement, ruptures d’intrants,
• Les inondations : dommages physiques, interruption d’activité,
• Et localement, les feux de forêt, tempêtes, ou érosion côtière.
• Les sécheresses : stress hydrique, retrait-gonflement, ruptures d’intrants,
• Les inondations : dommages physiques, interruption d’activité,
• Et localement, les feux de forêt, tempêtes, ou érosion côtière.
Chaque entreprise doit croiser ces aléas avec ses implantations et ses actifs pour établir une cartographie des risques prioritaires, premier pas vers la définition d’un plan d’adaptation ciblé et efficace.
Urbanomy accompagne les entreprises dans la construction de plans d’adaptation robustes, alignés avec les exigences réglementaires et les meilleures pratiques méthodologiques. Notre approche : allier rigueur technique, vision stratégique et capacité à embarquer les équipes autour d’un projet d’entreprise tourné vers l’avenir.
Retrouvez la suite de cet article en deux volets dans quelques jours sur notre site : nous nous pencherons sur la meilleure manière de construire un plan d'action efficace en matière d'adaptation au changement climatique.
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L'auteur
François Rehulka
François est Senior Manager Technique chez Urbanomy, où il est responsable du développement de l'expertise technique de la société et de la qualité de ses missions.
Diplômé de l'École des Mines de Nantes, il a 18 ans d'expérience dans le secteur de l'énergie, sur les marchés de l'énergie, la recherche sur la décarbonation, l'optimisation des systèmes énergétiques locaux, la recherche sur la décarbonation, la stratégie de développement et la gestion de projets d'innovation.