Par Félix Briaud
08/07/2025
Temps de lecture : 10 min
Le 3 juin dernier, Urbanomy organisait à la Fondation groupe EDF l’événement "Que nous promet l’horizon ?", afin d’interroger notre rapport à l’avenir, entre science et croyance.
Nous avons mis l’accent sur les nouveaux horizons, en particulier dans le secteur du tourisme.
Après la visite guidée de l’exposition "Ce que l’horizon promet", en présence des commissaires d’exposition Samantha Barroero et Nathalie Bazoche, s’est tenue une conférence-débat avec la participation exceptionnelle de François Gemenne, professeur à HEC Paris, coauteur du 6ème rapport d’évaluation du GIEC, et de Florian Duprat, Corporate Social Responsibility Manager pour Club Med, entreprise qu’Urbanomy accompagne depuis 2023 dans la stratégie de décarbonation de son parc immobilier international.
En premier lieu, pourquoi avoir choisi la Fondation groupe EDF pour cette soirée - qui a traité de bien d’autres sujets, comme la souveraineté, le libre arbitre et même le survivalisme ? C’est certainement Alexandre Perra, son délégué général, qui l’explique le mieux :
Dans un monde qui est polarisé, fragmenté socialement, et dans lequel des décisions s’imposent dans ce contexte du changement climatique, il nous semble important de continuer à faire société, d’être capables de réfléchir collectivement, d’exercer notre esprit critique, de prendre des décisions collectivement et d’agir et d’inciter à l’action.Et donc nous organisons des événements artistiques et festifs qui permettent de créer cette rencontre entre des gens qui n’ont plus l’habitude de se rencontrer pour essayer de réfléchir ensemble. Cela donne lieu à des manifestations culturelles, des expositions ou encore une saison de danse qui permet de brasser la culture et de mixer socialement les publics.![]()
Nous sommes convaincus, chez Urbanomy, que les changements profonds nécessitent une prise de conscience globale. Et cette prise de conscience a besoin d’allier les émotions à la raison. En neuroscience, on apprend que pour le cerveau, le présent a plus de valeur que l’avenir. Alors quand on travaille sur les sujets climat, ça pose de vraies questions parce que l’on travaille nécessairement sur des projections dans le temps.![]()
Le tourisme, une affaire d'horizon
La recherche de nouveaux horizons est un des principaux moteurs du tourisme, depuis son invention au XIXème siècle jusqu’à aujourd’hui.
Et si le tourisme est une industrie, c’est également un catalyseur du territoire, aussi bien en termes économiques, sociaux ou encore culturels. Mais les territoires touristiques font aussi face à des défis de taille, comme l’expose Benjamin Mousseau :
Nous commençons actuellement une mission avec la communauté de communes du Golfe de Saint-Tropez, qui voit sa population passer de 60 000 habitants en hiver à 650 000 habitants en été.650 000 habitants, c’est l’équivalent de la troisième ville de France. C’est plus que la population de la ville de Lyon. Dans ce cas-là, comment gérer l’espace ? Comment rénover un parc de résidences secondaires utilisé seulement quelques semaines par an ? Comment électrifier un transport congestionné ou encore développer des énergies renouvelables sur un territoire au patrimoine protégé ? Autant de défis auxquels font face les territoires touristiques.![]()
Non seulement le tourisme pose de nombreux défis aux territoires qui y sont le plus exposés, mais par ailleurs il ne va pas disparaître du jour au lendemain. Il faut donc composer avec lui, même s’il contribue de façon non négligeable au changement climatique.
Alors de quoi le tourisme est-il le nom ? Que représente-t-il aujourd’hui ? Florian Duprat, CSR Manager chez Club Med, nous dresse un rapide état des lieux.
Sur les vingt dernières années, on a enregistré une croissance de 180% du nombre de touristes internationaux. Après Covid, on aurait pu croire à une modification durable des modes de consommation du tourisme mais force est de constater que, très rapidement, nous avons retrouvé les niveaux de trafic aérien, notamment, d’avant Covid.Ces volumes d’activité font du tourisme, aujourd’hui, un des piliers de l’économie mondiale ; les estimations sont de l’ordre de 10% du PIB mondial, avec un emploi sur dix, direct ou indirect, qui serait lié à cette industrie. C’est donc un contributeur massif au développement économique.C’est aussi un facteur de rapprochement entre des peuples aux cultures, aux modes de vie et aux croyances qui sont différentes et donc un facteur de tolérance. Mais cela ne se fait pas sans conséquences pour la planète. Une étude récente, parue fin 2024 dans Nature Communications, a établi que le tourisme est responsable de 9% des émissions mondiales de gaz à effet de serre sur la période 2009-2019. Airbus table, quant à lui, sur un doublement du nombre d’avions dans les vingt prochaines années ; cela laisse imaginer les impacts associés…Donc qu’est-ce qu’on fait ? Faut-il que l’on mette la clé sous la porte ? Au risque que d’autres prennent la place avec plus ou moins de scrupules, et tout cela en ignorant les centaines de millions de personnes qui dépendent de ce tourisme ?Notre parti, au Club Med, est d’accompagner cette industrie de l’intérieur, d’infléchir des tendances et d’accélérer l’adoption de modes de consommation qui soient plus soutenables.![]()
En avoir pour son empreinte carbone
Comment, dans ce cas, transformer le tourisme ? C’est l’épineuse question à laquelle se frottent des organisations comme le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) ou encore la World Sustainable Hospitality Alliance.
Il est incontournable, à l’heure d’un monde qui s’apprête à dépasser l’objectif maximum de réchauffement de +1,5°C, fixé par les Accords de Paris il y a seulement dix ans, d’inventer de nouvelles offres de vacances et de développer de nouveaux imaginaires. Et ce faisant, de renforcer le caractère désirable de lieux moins lointains.
Dans le cas de destinations plus lointaines, il faudra sans doute aussi se poser la question de partir plus longtemps, comme pour équilibrer les émissions de gaz à effet de serre induites par nos déplacements.
Je pense qu’il y a beaucoup de choses dans l’offre touristique qui peuvent être réenvisagées.La question fondamentale, à mon avis, c’est : "qu’est-ce qu’on va donner à voir à ceux qui assument de griller une partie de leur budget carbone pour aller ailleurs ?". Et sachant que nous allons avoir, chacune et chacun, un budget carbone qui va être de facto de plus en plus restreint, la question est : "comment va-t-on l’utiliser ?".Si nous choisissons d’en affecter une partie au tourisme, alors demandons-nous : "est-ce qu’on va en avoir pour notre empreinte carbone ?". Et c’est une question qui va de plus en plus se poser. De la même manière que nous avons un budget limité par l’argent que nous avons sur notre compte en banque, et que lorsque l’on fait un achat un peu onéreux, on se demande : "est-ce qu’on va en avoir pour notre argent ?", je crois que de plus en plus on va se demander : "est-ce qu’on va en avoir pour notre empreinte carbone ?"![]()
Les travaux de François Gemenne sur les migrations climatiques nous rappellent aussi qu’à l’augmentation des migrations choisies, que sont les flux touristiques, s’ajoutent les migrations contraintes des réfugiés climatiques, qui vont continuer d’augmenter.
N’est-ce pas là toutefois une chance d’envisager le tourisme, au contraire, comme un moyen de tisser un lien social ici et d’y trouver un nouvel horizon ?Avec les migrations climatiques, plus besoin d’aller loin pour découvrir de nouvelles cultures. Elles sont là, à coté de nous, et nous pourrions profiter de la diversité que cela génère pour voyager "autrement" : le bout du monde est au bout de la rue.![]()
La question centrale de la décarbonation du secteur aérien
C’est très probablement le talon d’Achille du secteur du tourisme : le secteur de l’aviation affiche une santé insolente, avec près de 5 milliards de passagers transportés en 2024 selon l’Association internationale du transport aérien (IATA).
L’année précédente, la même organisation comptabilisait un peu plus de 4,4 milliards de passagers. Et pour 2025, elle table sur 5,2 milliards. La croissance est donc rapide. Très rapide. Des projections estiment même que nous pourrions atteindre le chiffre de 8 milliards de passagers d’ici vingt ans.
C’est un problème pour au moins deux raisons : d’une part, l’aviation commerciale représente actuellement environ 2,5% des émissions mondiales - 2,9% si l’on y inclut la production et la distribution de kérosène. Comme le rappelle cet article de L’Info Durable, si l’aviation était un pays, ce serait le 6ème plus gros émetteur mondial, entre le Japon et l’Allemagne.
D’autre part, il n’existe pas à ce jour de solutions sérieuses pour réduire l’empreinte carbone du secteur aérien – exit la promesse, donc, d’avions volant à l’hydrogène ou aux carburants durables, les Sustainable Aviation Fuels (SAF), ou du moins pas dans un horizon proche.
Sur la décarbonation de l’aérien - qui est technologiquement difficile à date - de notre point de vue ce ne sont pas des évolutions sur lesquelles il faut fonder notre stratégie, si ce n’est à partir de 2050. Mais avant cela, nous avons tout de même un rôle à jouer sur une forme de sobriété à la consommation de l’aérien. Je grossis le trait mais on va préférer une famille qui vient une fois pour cinq semaines plutôt qu’une famille qui vient cinq fois pour une semaine.C’est là qu’il y a un accompagnement dont nous, le Club Med, sommes responsables : les compagnies aériennes ont la charge de réduire l’intensité carbone de leur indicateur "kilomètre par passager" et les entreprises du tourisme ont la responsabilité de diminuer leur dépendance à l’aérien.Comment ? En amortissant, d’une part, le voyage sur des durées de séjour qui sont plus longues mais aussi en développant des villages au plus près des marchés émetteurs et des clients. Tout cela pour induire des distances parcourues moindres et accompagner évidemment le développement du train ou d’une mobilité plus douce partout où c’est possible.![]()
Il y a des axes pour lesquels nous avons des solutions technologiques immédiates : nous savons aujourd’hui, par exemple, décarboner la production d’énergie. On peut parfaitement décarboner, également, la voiture individuelle. La voiture électrique est au moins l’avenir de la voiture, tout en sachant que la voiture elle-même n’est pas l’avenir du transport.Il y a d’autres axes pour lesquels nous n’avons pas de solutions à l’heure actuelle. L’aviation en fait partie et c’est sans doute la plus emblématique.Je souhaite ardemment que nous puissions en avoir une d’ici 20, 30 ou 40 ans mais soyons conscients que même lorsque nous en aurons une, il y aura un gros enjeu économique du renouvellement des flottes pour les compagnies aériennes - parce qu’un avion va généralement être acheté pour 30, 40 ou 50 ans. Il faudra donc éviter la situation où les plus nantis pourraient se payer le luxe de voler dans des avions décarbonés et où les plus pauvres seraient contraints de voler sur des compagnies low cost en assumant, en quelque sorte, de voler dans des avions au kérosène.Car lorsque l’on considère que seuls 20% des gens ont déjà pris l’avion une fois dans leur vie, et quand on connaît les bénéfices pas seulement touristiques mais également familiaux ou culturels du transport aérien, on se dit forcément : "qu’est-ce qu’on fait, d’un point de vue social, pour que ce bénéfice soit à la portée du plus grand nombre ? ". N’a-t-on pas une responsabilité à mettre le transport aérien à la portée du plus grand nombre ?C’est pourquoi je n’ai pas tendance à juger trop sévèrement les compagnies low cost, sachant qu’elles ont aussi permis à certains ménages qui n’avaient pas la possibilité de partir en voyage hors de leurs frontières de le faire pour la première fois de leur vie.![]()
Retrouvez ci-dessous le replay intégral de cette conférence-débat avec nos invités exceptionnels François Gemenne et Florian Duprat. Nous serons ravis de savoir ce que vous en avez pensé, et vous pouvez pour cela nous écrire à contact@urbanomy.io ou directement via notre formulaire de contact.
D'ici là, bonnes vacances responsables !
Lien externe : exposition "Ce que l’horizon promet" à la Fondation groupe EDF (ouverte jusqu’au 28 septembre 2025)
Replay de la conférence-débat "Que nous promet l'horizon ?" à la Fondation groupe EDF, le 3 juin 2025.
Avec la participation de Florian Duprat, Corporate Social Responsibility Manager chez Club Med, et François Gemenne, professeur à HEC Paris, coauteur du 6ème rapport d'évaluation du GIEC. Échanges animés par Benjamin Mousseau, directeur général d'Urbanomy.
Avec la participation de Florian Duprat, Corporate Social Responsibility Manager chez Club Med, et François Gemenne, professeur à HEC Paris, coauteur du 6ème rapport d'évaluation du GIEC. Échanges animés par Benjamin Mousseau, directeur général d'Urbanomy.
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Pour vous permettre d'accéder à l'information, nous vous proposons de consulter la vidéo Replay de la conférence-débat "Que nous promet l'horizon ?" à la Fondation groupe EDF, le 3 juin 2025 dans un nouvel onglet.
L'auteur
Félix Briaud
Félix est le responsable communication & RSE d’Urbanomy.
Journaliste durant dix ans, il a ensuite bifurqué vers la data appliquée à la publicité digitale. Ce n’est que récemment qu’il s’est convaincu, en rejoignant le cabinet en 2023, de mettre en adéquation sa vie professionnelle avec ses convictions personnelles au sujet de l'environnement.
En dehors de cela, Félix est fou de musique - particulièrement de la période allant des années 1950 aux années 1970. Dans ce domaine comme dans d’autres, il regorge d'anecdotes et sera sans aucun doute ravi de vous en raconter une ou deux.
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