Par Félix Briaud (avec Maël Capitaine et Houda Maimouni), Urbanomy
12/09/2023

Lors des missions menées ces derniers temps chez Urbanomy, nous avons constaté une forte attente de nos clients sur le sujet grandissant des émissions évitées.

Faut-il mesurer les émissions évitées ? Si oui, quelle méthodologie retenir ? Quels mots choisir pour en parler ?
 
Ce ne sont que quelques-unes des questions auxquelles un groupe de travail, constitué au début de l’été chez Urbanomy et spécialement dédié au sujet des émissions évitées, s’est attelé.
 
Les méthodes de calcul sont souvent complexes. Elles dépendent également d’une situation de référence - nécessairement fictive - pouvant être retenue afin de la comparer avec la solution mise en place. Solution qui permet, justement, d’éviter des émissions.

Les "émissions évitées", quésaco ?

Selon la définition de l’ADEME, “les émissions évitées par une organisation concernent les réductions d'émissions réalisées par ses activités, produits et / ou services, lorsque ces réductions se réalisent en dehors de son périmètre d'activité. Elles sont évaluées au regard d'un scénario de référence”.
 
Autrement dit : il s’agit uniquement ici de la décarbonation de son écosystème, c’est-à-dire le pilier B » des recommandations de la Net Zero Initiative (voir visuel ci-dessous). Il ne s’agit donc pas, par conséquent, des émissions directes ou indirectes dues à la chaîne de valeur d’une activité donnée.
 
Les deux autres piliers de la Net Zero Initiative sont précisément la réduction de ses propres émissions de gaz à effet de serre (pilier A) et la contribution par le financement de capacités de stockage du CO₂ (pilier C), c’est-à-dire la suppression de ce CO₂ contenu dans l’atmosphère grâce au développement de « puits de carbone » - tels que des forêts, par exemple.
 

Visuel détaillant les trois piliers A, B et C de la Net Zero Initiative

Explorez le référentiel de la Net Zero Initative

Trois scopes et puis c'est tout

Nul besoin de chercher très longtemps ; une simple requête sur un moteur de recherche vous fournira de nombreux exemples de cette appellation de « scope 4 » pour désigner les émissions évitées. Elle est - malheureusement - devenue communément admise. En plus des scopes 1, 2 et 3, l’idée d’un quatrième scope a donc fait son chemin.
 
Mais au fait : que sont les scopes 1, 2 et 3 et à quoi servent-ils ? Un court point de pédagogie s’impose.
 
  • Le scope 1 englobe les émissions de gaz à effet de serre liées directement à la fabrication d’un produit. Par exemple, pour fabriquer du papier, une entreprise a recours à la biomasse, en l’occurrence à du bois : c’est une émission comptabilisée au sein du scope 1
     
  • Le scope 2 est celui des émissions indirectes liées aux consommations énergétiquesCe même papier a nécessité, lors de sa fabrication, que des usines soient alimentées en électricité. Lors de sa consommation, cette électricité ne génère pas d’émissions de gaz à effet de serre ; cependant la production de cette électricité en a généré : elles sont comptabilisées au sein du scope 2
     
  • Le scope 3, enfin, concerne toutes les autres émissions indirectes de gaz à effet de serre, survenues lors du cycle de vie d’un produit, en amont ou en aval. L’extraction des matières premières nécessaires à la fabrication de papier a par exemple généré des émissions ; de même que la distribution du produit fini, son utilisation ou encore son recyclage
 
Pourquoi classer les émissions de gaz à effet de serre en différentes catégories ou « scopes » ?
Tout simplement pour identifier clairement les différentes origines d’émissions d’une entreprise, d’une collectivité ou simplement d’une personne lors de la réalisation d’un bilan carbone. Les classer de la sorte permet d’inciter plus facilement à les réduire, en donnant la possibilité de suivre la progression de tel ou tel indicateur.

Alors quel est le problème d'un "scope 4", au juste ?

Eh bien le risque que cette dénomination soit contre-productive est élevé.
 
D’abord, une telle appellation revient à mettre au même niveau ce potentiel « scope 4 » et les scopes 1, 2 et 3 qui ont - eux - des contours précis.
 
Les trois premiers scopes ont en effet été définis par le Greenhouse Gas Protocol (GHG). Le GHG n’a en revanche jamais officiellement inclus de quatrième scope au sein de sa démarche ; les entités à l’origine de ce protocole ont simplement émis la possibilité d’une telle évolution. Mais c’était il y a dix ans et cela ne s’est, à ce jour, pas concrétisé ; cela tient sans doute un peu plus qu’au hasard.
 
Be kind, rewind, en d’autres termes : les émissions évitées devraient, selon nous, être considérées « à part ».
 
Préservons-nous également d’un quatrième scope superfétatoire et revenons aux fondamentaux. Au premier rang desquels : la réduction des émissions, directes et indirectes, liées à sa propre activité.

L'enjeu prioritaire reste la réduction de ses propres émissions de gaz à effet de serre

Ce sont trois des principales conclusions du groupe de travail d’Urbanomy : 
 
  • réaffirmer que l’objectif principal en matière de décarbonation est la réduction de sa propre empreinte (sur les scopes 1, 2 et 3 que vous maîtrisez désormais sur le bout des doigts)
     
  • se refuser à revendiquer des « émissions évitées » sans être transparent vis-à-vis de ses propres émissions. Il s’agit donc de dévoiler si ces émissions directes ou indirectes sont en baisse, en hausse ou bien encore en stagnation
     
  • et enfin ne jamais soustraire les émissions évitées calculées de son propre bilan carbone. Nous le disions plus haut, cette dimension est à considérer à part, selon nous et ne doit pas servir à masquer habilement des facettes peu reluisantes de son activité

Les émissions évitées, rien que de la com' ?

Lors de nos travaux, l’exemple de communication de résultat ci-dessous a attiré notre attention :
 
Impact net de la plateforme Vinted, rapport climatique 2021

 

Cette représentation graphique, issue du rapport climatique de Vinted, un acteur de la seconde main, explique en se fondant sur des transactions réalisées en 2021 que l’activité de cette entreprise a généré environ 295.000 tonnes de CO₂ (9.011 + 282.471 + 3.478 = 294.960).

Dans le même temps, un calcul d’émissions évitées aboutit à un résultat de 747.551 tonnes de CO₂ économisé et ce grâce au fait que ses clients ont précisément privilégié de l’occasion à du neuf.
 
En déduisant les près de 295.000 tonnes de CO₂ dues à son activité des près de 748.000 tonnes d’émissions évitées, cette entreprise affirme donc que son « impact net » sur le climat est négatif, de près de 453.000 tonnes en l’occurrence.
 
Si la méthodologie suivie dans ce rapport climatique est tout à fait convenable, ce graphe dénote une communication pour le moins audacieuse. Il revient en effet à dire que si cette entreprise n’existait pas, la planète aurait à supporter 453.000 tonnes équivalent CO₂ supplémentaires.
 
C’est évidemment parfaitement fantaisiste et la principale chose à retenir ici est que l’activité de cette entreprise émet environ 295.000 tonnes (ou 295 kilotonnes) de gaz à effets de serre.

Rendez-vous au prochain épisode

La longueur et la densité de cet article, à ce stade, nous conseillent de vous réserver d’autres enseignements pour une deuxième partie, lors de laquelle nous explorerons la suite des prises de position de notre cabinet de conseil ainsi que d’autres aspects relatifs à une bonne communication sur le sujet des émissions évitées.
 
Restez à l’écoute 😉
Photo Félix Briaud
L'auteur

Félix Briaud

Félix est le responsable communication, marketing & RSE d’Urbanomy.
Journaliste durant dix ans, il a ensuite bifurqué vers la data appliquée à la publicité digitale. Ce n’est que récemment qu’il s’est convaincu, en rejoignant le cabinet, de mettre en adéquation sa vie professionnelle avec ses convictions personnelles au sujet de l'environnement.
En dehors de cela, Félix est fou de musique - particulièrement de la période allant des années 1950 aux années 1970. Dans ce domaine comme dans d’autres, il regorge d'anecdotes et sera sans aucun doute ravi de vous en raconter une ou deux.

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