Par Lucie Raty, Urbanomy
05/07/2023

Il y a quelques jours, j’ai été invitée à faire une intervention auprès d’une direction informatique, à l’occasion de leur séminaire.

La demande ? Un échange interactif et « inspirationnel » au sujet de la transition écologique.

 
 
Rien de plus compliqué que la page blanche pour celles et ceux qui, comme moi, sont persuadés que de la contrainte naît la créativité.
 
Et pourtant le fil rouge est apparu comme une évidence, sur un thème qui m’est cher : le renoncement.
 
Quelle est notre capacité, en tant qu’individus et en tant qu’organisations, à renoncer ou à créer les conditions d’un renoncement positif  ?
 
Cela étant dit, pour renoncer, il faut savoir à quoi renoncer. Pour quel impact. Ce qui suppose à la fois de modifier notre mode de prise de décision mais aussi de connaître les ordres de grandeur de nos choix.

Quantifiable, compréhensible, comparable : 3 éléments clés pour devenir un indicateur

Pour les choix qui concernent l’énergie, le lien entre énergie et climat pouvait sembler assez simple : on réduit les usages carbonés pour les passer avec des sources d'énergie décarbonées.
 
Mais en réalité, dès que l'on commence à mettre le doigt dans l'engrenage, on s'aperçoit que l'on peut presque tout juger à l'aune du carbone émis (l'énergie directement consommée pour faire fonctionner quelque chose, par exemple le carburant pour faire rouler une voiture) mais aussi du "carbone embarqué" - qui peut également être appelé "carbone gris" ou "carbone intrinsèque" - c'est-à-dire la quantité d'énergie consommée pour le reste du cycle de vie d'un matériau ou d'un produit : son extraction, sa transformation ou sa fabrication, son transport, sa distribution, sa mise en oeuvre, son entretien, son tri, son recyclage...
 
D'un coup d'un seul, c'est un nouveau monde qui apparaît. Un monde où l'on réinterroge la pertinence même de créer ce nouvel équipement promu comme innovant et qui permettra d'émettre moins de carbone ; mais qui va nécessiter de nombreuses ressources depuis son prototypage, sa production, sa distribution, etc.
 
Ainsi, avant même que ce nouvel équipement n’émette moins de carbone une fois en fonctionnement, il va fatalement déjà avoir une empreinte "embarquée", "grise", "intrinsèque" plus forte que s’il n’avait jamais été fabriqué.
 
D’où ce questionnement permanent : arbitrer sur l’intérêt de remplacer, fabriquer de nouveaux équipements et pour quelle durée de vie ? Est-ce qu'in fine l’impact "embarqué" de ce nouvel équipement n'est pas plus élevé que de continuer à utiliser notre bon vieil équipement polluant, mais déjà "amorti" ?
 
La bonne nouvelle, c’est que ce raisonnement est valable pour beaucoup d’entités de l’entreprise : les équipements informatiques pour une direction IT, les systèmes énergétiques pour une direction des opérations, les véhicules pour un gestionnaire de flotte…
 
Une fois que l'on commence à réfléchir de cette manière, cela devient une obsession ! Le carbone n'est qu'une unité, très pratique car quantifiée et avec un consensus scientifique et international sur la manière de le comptabiliser. Cela rend cette unité utile voire incontournable car compréhensible et comparable.
 
Quantifiable, compréhensible, comparable : 3 éléments clés pour devenir un indicateur. Mais il ouvre la question à plus large que lui : la biodiversité, les limites planétaires et le climat.
Geralt / Pixabay

Le fait d'agir pourrait-il également supposer de... ne pas faire ?

Chacun entend parler de décarbonation mais le risque est grand de galvauder la notion, de la vider de sa substance.
 
Décarboner, qu'est-ce que cela veut dire ? Ce n'est pas retirer du carbone. Décarboner c'est un verbe d'action ; et pourtant plus on agit, plus on « carbone » !
 
Dans la trajectoire de décarbonation que propose Urbanomy, nous insistons sur la première mesure qui consiste justement à mesurer. Ce point de départ qui donne une situation de référence permet ensuite de définir les leviers pour éviter et réduire les émissions.
 
Définir des leviers, c’est une très bonne chose et cela répond au réflexe bien installé en entreprise face à un problème à résoudre : « que faut-il faire pour améliorer la situation ? ».
 
Et si, justement, l’une des réponses possibles, l’un des leviers, serait de... ne pas faire ? Ne pas faire devrait toujours être considéré comme une décision à part entière et faire partie des options. Ne rien faire, ce n’est pas se désengager, c’est prendre une décision et en assumer les conséquences.
 
Ne rien faire, cela implique parfois de renoncer.
 
Face aux limites planétaires, les entreprises dont le modèle d’affaires repose sur l’utilisation de ressources et de matières premières auront à faire face à ces questions de renoncement. Ce qui suppose dès aujourd’hui de lancer une réflexion pour accompagner ce changement. Pour exemple, pour un aménageur dont le métier est de construire sur des terrains non bâtis et considérant le contexte réglementaire (Zéro Artificialisation Nette, RE2020, etc.), son métier dans dix ans sera-t-il toujours d’aménager ? Ou de renaturer et réhabiliter ?

Le renoncement peut et doit faire partie des nouveaux comportements courageux de l’entreprise

Le renoncement, ce n'est pas compliqué. C'est un choix.
 
Ce renoncement, c'est simplement changer l'ordre de la question : quand vous aurez un brainstorming sur "que faut-il faire sur ce projet ?", pensez la question à l’envers, juste pour voir.
 
Que faut-il ne pas faire sur ce projet ? Les perspectives seront différentes. Et pourront ouvrir des voies.
L'autrice

Lucie Raty

Lucie est la co-fondatrice et Directrice Générale Déléguée d’Urbanomy.
Au sein de Veolia, de Dalkia puis de la Direction Internationale d’EDF, elle a mené de nombreuses missions en matière de Responsabilité Sociétale des Entreprises, de conduite du changement et de développement de nouvelles offres.
Lucie aime concilier les choses qui ne vont pas de soi afin d’accompagner la transformation des entreprises et des organisations du secteur public.

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